]BIOGRAPHIE MéDINE:
À la première impression, Médine a tout pour rebuter ou faire le jeu des préjugés. Musulman, barbu, éloquent, il assène ses rimes politisées d'une voix de granit qui giflela musique et interpelle l'auditeur. Pourtant, loin des caricatures et des écrits dogmatiques, ces textes ciselés remettent le rap au service d'une parole engagée et responsable. Auteur de deux albums indépendants aux titres coups de poing (« 11 septembre, récit du onzième jour », « Jihad, le plus grand combat est contre soi-même »), Médine cultive depuis ses débuts l'art de marquer les esprits. Rejetant les double discours et le consensus mou, il manie les stéréotypes pour mieux susciter le débat sur la place des musulmans de France, le sort réservé aux populations immigrées ou encore l'inégalité sociale qui frappe les classes populaires.
À 25 ans, Médine est aujourd'hui à la croisée des chemins. Derrière l'unanimité critique qui a accueilli ses deux albums les interviews qu'il a données au prestigieux TIME magazine américain ou sa tournée jouée à guichets fermés (le « Don't Panik Tour »), il demeure ce jeune vétéran du rap, originaire du Havre, qui a construit sa carrière à l'ombre des réseaux généralistes.
Ces jours-ci, c'est chez le gros label Because Music qu'il sort son troisième album, Arabian Panther. En perspective, plus d'exposition pour sa musique. Plus d'enjeux, aussi. Mais Médine garde le cap. Sur la lancée de ses exploits passés, il fait même monter les enchères en termes de hauteur de vue et de densité du propos. Et dès le titre de l'album, Arabian Panther, renvoi explicite au Black Panther Party, le ton est donné.
Sans avoir recours à la lutte armée, l'objectif de Médine est de transposer le combat des Black Panthers – à savoir, l'amélioration des conditions de vie d'une minorité opprimée – à la réalité vécue par les jeunes des quartiers défavorisés en France, quelles que soient leur origine ou leur confession. Le parallèle se poursuit dans la symbolique : « une coupe afro sous la mâchoire », Médine assume sa barbe à la manière des militants qui arboraient leur coiffure caractéristique dans l'Amérique guindée des années60. En apparence, comme un signe d'appartenance communautaire, mais surtout comme le symbole de toutes leurs frustrations et revendications.
« Si j'étais un sport, je serais la guerre; et si j'étais une guerre, mon frère, je serais la Terre... » (Portrait chinois) Portrait-robot d'une époque belliqueuse, Arabian Panther décrit de bout en bout un combat de tous les instants. Traitant des cicatrices de l'Histoire (Kounta Kinté) et de nos guerres quotidiennes (Péplum), Médine raconte aussi la colère tapie en lui (Besoin de révolution) ou l'instinct animal caché dans le coeur de l'Homme (Panther Blues). Et quand il s'agit d'évoquer le sort des prisonniers de Guantanamo, toujours en attente d'un procès après plusieurs années, Médine n'hésite pas à y incarcérer Zinedine Zidane, Yannick Noah et... Johnny Hallyday (soit les trois personnalités préférées des Français en 2007) pour capter l'intérêt de son auditoire. Car c'est désormais clair, il n'est pas le genre d'artiste qu'on n'écoute que d'une oreille. Au contraire, son rap est fait de rimes animales chargées jusqu'à la gueule d'allusions politiques, historiques ou spirituelles qui se succèdent dans un flot ininterrompu. Conséquence ? Médine va trop vite pour l'esprit humain et à chaque mesure, on presse rewind pour saisir la moindre nuance de ses vers. Loin d'être seulement cérébrale, sa musique donne à voir et à ressentir. Il suffit d'entendre Kounta Kinté pour imaginer le souffle court du narrateur ou Camp Delta pour visualiser les cernes bruns de Yannick Noah sous l'ampoule de sa cellule. Des tours de force narratifs, à l'image de ce récit d'un canular transformé en cause nationale (la prétendue agression antisémite du « RER D » de 2004) qui met à jour les rouages d'un théâtre de dupes joué au détriment des musulmans de France, sans qu'aucun mea culpa n'ait jamais été effectué par les pouvoirs publics ou les médias responsables.
Mais même quand Médine décrit avec humour un signe d'appartenance communautaire devenu rédhibitoire (Code Barbe), il réussit à prendre les préjugés à rebroussepoil : « On n'y voit qu'un signe ostensible de foi; et portée par une femme, elle devient phénomène de foire / Ses reflets rouquins sentiront le roussi quand elle fera licencier les bagagistes de Roissy ». Ainsi, titre après titre, il donne à son album l'allure d'un blockbuster où le sort du monde peut basculer à chaque rime. Un monde où les guerres soi-disant chirurgicales le sont autant que le visage de Michael Jackson. Et un monde où « le notable a son bouclier fiscal [alors que] l'esclave doit se battre avec une couverture sociale ». Avec son écriture politique autant que thérapeutique, Médine sait aussi faire preuve d'introspection, qu'il s'agisse d'un hommage pudique à la gente féminine (À l'Ombre du Mâle, avec la chanteuse soul allemande Nneka), de confidences déguisées en comparaisons (Portrait Chinois) ou du morceau Arabo Spiritual. Avec cette chronique de huit minutes, Médine se fait conteur d'une histoire peu commune : celle de son label Din Records. À travers l'épopée de jeunes de province donnés perdants par l'industrie du disque et les statistiques, il raconte avant tout une formidable aventure humaine. S'ouvrant sur un radio-cassette qui blaste au fond d'un autobus scolaire, le titre s'achève sur ces rimes : « Ma profession, écrire des textes sombres; déjà en gestation, le prochain album, c'est 'Protest Song'. Mais pour l'heure, fini de chialer dans les chaumières, j'arrive dans les charts avec la chance du chômeur. Et pour le dire, rien qu'une centaine de vers, frère, sculptés dans le fer par l'Arabian Panther. » Ainsi, vous voilà prévenus : malgré tant de chemin déjà parcouru, Médine n'a pas fini de rugir ni de marquer les esprits.[/c
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